RGPD et Blockchain

Last Updated on mai 24, 2018 by Talium

La réglementation RGPD qui est applicable à partir du 25 mai 2018 a été élaborée pour un monde où la donnée est collectée, stockée et traitée de manière centralisée, habituellement par un organisme auquel l’usager accorde sa confiance pour en faire bon usage.
Les risques que le RGPD adresse sont les fuites de données personnelles ou leur traitement abusif.
La blockchain a pour but principal la réplication de données sur des registres distribués dont le contrôle est assuré par des entités différentes, afin de s’affranchir d’un tiers de confiance unique. Ses propriétés facilitent les transactions de pair à pair, de même que l’absence d’un responsable des traitements unique permet d’éviter les pratiques de profilage systématique.
Il apparaît donc que la réglementation RGPD tout comme les blockchains rendent possible la protection de l’intérêt des individus contre la gouvernance excessive des GAFAM et autres entreprises adeptes du Big Data dont les modèles économiques sont partiellement construits sur le traitement des données utilisateurs.
Paradoxalement, les propriétés des blockchains les rendent difficilement compatibles avec certaines des obligations RGPD.

  • L’accès libre aux données stockées dans les registres distribués de la blockchain
    Ceci peut entrer en conflit avec les obligations RGPD de protection des données
  • La propriété immuable de la blockchain
    Cette propriété coexiste difficilement avec les directives RGPD de droit à l’oubli et de conservation limitée dans le temps
  • La gouvernance partagée / Elimination des tiers de confiance
    Cet aspect est en contradiction avec la directive RGPD de nommer un délégué à la protection des données. Qui est le référent des utilisateurs s’il n’y a pas de responsable au traitement des données ?
  • Le traitement automatique des données via les smart contrats
    En effet, RGPD vise à combattre des décisions fondées exclusivement sur un traitement automatisé et affectant les utilisateurs de manière significative.

Le vote du Cloud Act par le congrès américain d’autre part rend pratiquement impossible l’application extraterritoriale du RGPD. Les données stockées sur des registres distribués d’une blockchain publique situés sur le sol américain peuvent tomber sous le coup d’une investigation des autorités américaines et entrer en contradiction avec la disposition interdisant les transferts ou divulgations non autorisés par le droit de l’Union.
De plus, les obligations RGPD n’ont pas les mêmes répercussions selon les types de blockchains utilisés. 2 cas principaux se distinguent :

  • Les blockchains publiques – open permissionless
  • Les blockchains privées, permissionnées ou permissionless

 

  • Les blockchains publiques

Les données contenues dans les blocs, encryptées ou non, même au travers de simples condensats ou hash (dont la présence prouve l’existence de données potentiellement privées), peuvent contenir ou être dérivées d’informations personnelles. On peut donc dire que les blockchains publiques contiennent des données personnelles qui restent accessibles dans les registres distribués.
Le mécanisme de signature des transactions et leur vérification se fait par un algorithme de chiffrement par courbes elliptiques qui joue un rôle crucial dans la technologie blockchain. Il assure aussi la génération des paires de clés (clé privée et clé publique) nécessaire aux signatures. Il est communément accepté que les ordinateurs quantiques pourront un jour (lointain, sans doute dans quelques décennies) casser les algorithmes de chiffrement, ou même remonter les clés privées appairées aux clés publiques, dans des délais devenant « praticables ».
Il serait possible d’utiliser des algorithmes quantum-proof qui pourraient assurer la confidentialité sur quelques décennies supplémentaires, cependant, comme tout projet informatique, ce type de choix technique doit se faire au vu d’autres paramètres dont la performance : les données sont-elles suffisamment critiques pour devoir les chiffrer ou même utiliser des algorithmes quantum-proof qui pourraient impacter la rapidité des transactions ?
De la même façon, l’immuabilité, la gouvernance partagée et la possibilité de faire tourner des « smart contrats » font des blockchains publiques des technologies peu adaptées à la conformité RGPD. La question se pose particulièrement pour les DAO (Decentralized Autonomous Organizations) qui sont des structures à la gouvernance décentralisée régies par des smart contrats, permettant à leurs contributeurs de proposer des projets et de voter pour ou contre leur financement. Une DAO ne dispose pas de personnalité juridique. Bien qu’elle soit constituée d’un ensemble de participants agissant comme une société, c’est-à-dire avec un projet commun ayant un but a priori lucratif, elle ne peut pas en tant que telle s’inscrire dans les cadres juridiques existants, et obtenir une personnalité morale.
En conséquence, les utilisateurs de ces organismes DAO ne sont théoriquement pas protégés par la réglementation RGPD. Plus généralement, les blockchains publiques elles-mêmes étant développées par des communautés open source, aucune entité légale ne les représente et pourrait se voir opposer ces directives européennes.
En théorie, on pourrait imaginer qu’une blockchain publique dans laquelle on aurait introduit de manière mal intentionnée des données personnelles à caractère sensible pourrait être mise à mal par la RGPD… il est cependant difficile d’appréhender les sanctions qui pourraient lui être imposées.
La responsabilité des données inscrites dans les blockchains publiques est donc transférée aux personnes proposant des services tiers et utilisant ces blockchains. En particulier, cela peut concerner tous les services d’exchange proposant des wallets de cryptomonnaie, qui doivent se conformer à toutes les réglementations du droit des entreprises, et notamment aux règles de KYC (Know Your Customer) appliquées aux fintechs. Plus largement, tous les services utilisant les blockchains publiques sont concernés.
Cependant, comme nous allons le voir plus loin, il existe des best practices pour utiliser les blockchains publiques et rester conforme aux directives RGPD.

  • Les blockchains privées

Dans le cas des blockchains privées, la responsabilité face aux directives RGPD est d’emblée portée par les entreprises utilisant ces blockchains dans le cadre de leurs projets. Les blockchains permissionnées ont la possibilité de restreindre la consultation des transactions.
Comme nous le verrons plus tard, certaines blockchains qui ont été conçues dans le but de protéger les données utilisateur (privacy-by-design) peuvent mettre en avant des avantages supplémentaires.
Dans tous les cas, le rôle de l’architecte et intégrateur dans la conception de ces projets est de concevoir des architectures garantissant la conformité RGPD.
 
Les points critiques à respecter sont les suivants :

  • Protection des données utilisateurs

Une des solutions de mise en conformité est d’anonymiser les données. Cependant les exigences liées sont élevées car l’anonymisation doit rendre strictement impossible tout lien permettant d’identifier les individus.
La manière plus couramment utilisée est la pseudonymisation. Différentes techniques sont possibles dont l’une des plus robustes est  l’émission de clés publiques renouvelées systématiquement à chaque transaction, ce qui permet de suffisamment brouiller le lien avec l’émetteur pour écarter l’identification.
Ainsi, La fondation Sovrin, dont le projet vise à diffuser « une identité auto-souveraine » et permet aux individus de prouver leur identité tout en gardant confidentielles (zero knowledge proof) les informations non requises pour leur identification, a mis en place un protocole pour l’émission d’une paire unique d’un pseudonyme utilisateur et clé publique à chaque transaction. Ce renouvellement fréquent de clés publiques rend extrêmement compliquée la corrélation d’un pseudonyme avec un individu.
La cryptomonnaie Monero utilise une autre technique d’anonymisation qui consiste à utiliser des adresses éphémères. Ces adresses éphémères ou furtives permettent aux destinataires des fonds de créer des adresses publiques uniques auxquelles les payeurs peuvent envoyer le montant désiré. Une fois la transaction inscrite dans la blockchain, le destinataire peut trouver l’adresse, l’utiliser pour générer une clé privée, et dépenser les fonds. Ce protocole rend quasi-impossible l’identification du destinataire de la transaction. Il rend également l’utilisation de Monero très populaire dans le milieu du numérique clandestin, pour des transactions illicites ou le blanchiment d’argent : l’anonymisation est donc vertueuse pour la protection de la vie privée mais doit s’associer à des règles visant à limiter les pratiques criminelles (du type KYC).
D’autres algorithmes cryptographiques comme le calcul multipartite permettent d’échanger des informations entre parties prenantes dans le cadre d’une transaction, sans dévoiler le contenu des données.
Il est à noter, comme nous l’avons déjà indiqué, que toute opération de chiffrement des données impacte la performance du système en production. Cette solution, n’est donc pas optimale pour optimiser la vitesse des transactions.
Ainsi, pour le projet de notre partenaire Sunchain dans le domaine de l’autoconsommation collective d’énergie photovoltaïque, les données de production et de consommation sont captées par des boitiers TIC au niveau des compteurs. Nous pouvons limiter l’usage de chiffrement (afin de ne pas impacter la performance de ce système à forte composante IoT) car la blockchain Hyperledger Fabric permet la mise en place de channels dans lesquels les données ne sont accessibles qu’aux contributeurs autorisés, le consentement des utilisateurs étant requis pour l’accès à leurs données. L’identité des utilisateurs n’est d’ailleurs pas visible dans la blockchain, une table de rapprochement de pseudonymes créés pour chaque enregistrement est nécessaire et gérée séparément en off-chain.

  • Droit à l’oubli

Du fait de l’immuabilité des données stockées dans la blockchain, ce point est probablement le plus critique.
La technique la plus « simplement » compatible avec les directives RGPD en matière d’effacement des données personnelles dans le cadre d’un projet blockchain est de stocker ces données hors de la blockchain, dans une base de données hébergée de manière centralisée ou décentralisée. La blockchain n’intègre alors que le hash des transactions.
Mais stocker les données directement dans la blockchain est pour certains projets une propriété importante sinon nécessaire. Alors comment faire ? Dans le projet de notre partenaire BCDiploma, une solution que nous implémentons consiste à chiffrer les données dans la blockchain à l’aide d’une clé qui résulte d’un tryptique de clés : une clé liée au diplôme (personnelle), la clé privée (master key) de l’organisme de formation et une clé dite de persistance, sur laquelle le diplômé a pouvoir de destruction. S’il la détruit, l’accès aux données du diplôme est définitivement prohibé, ce qui revient à l’exercice du droit à l’oubli.

  • Délégués à la protection des données

Dans le cadre d’un service du domaine privé tournant sur une blockchain publique ou privée, il est communément compris que ce délégué doit être nommé par le responsable du projet.
Dans le cadre d’une organisation décentralisée et autonome, une solution possible serait de mettre en place par consentement mutuel un traitement des données auto-souverain et de s’affranchir ainsi de la disposition RGPD.

  • Privacy-by-design

Dans la conception même de la solution blockchain, il est primordial d’intégrer en amont les protocoles et algorithmes correspondant aux exigences de confidentialité du projet qui doivent être traduites dans l’analyse de risques intégrée au cahier des charges. Ces choix techniques impactent véritablement l’application, ses performances, sa scalabilité et son évolutivité.

  • Smart Contrats

La réglementation RGPD prévoit que « toute personne a le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques la concernant ou l’affectant de manière significative de façon similaire. » Les services du domaine privé traitant des données utilisateurs par le biais de smart contrats ont donc tout intérêt à recueillir le consentement de ces utilisateurs… consentement dont la traçabilité est d’ailleurs idéalement garantie par l’usage de blockchain.
 
Dans tous ces points critiques, il est important de ne pas perdre de vue que l’objectif même des blockchains est de protéger les utilisateurs de dérives provoquées par les systèmes centralisés. Les smarts contrats permettent en effet de protéger les utilisateurs de par la transparence qu’ils introduisent dans l’exécution d’un traitement automatisé (s’ils sont open source et donc auditables par tous les contributeurs). Il est légitime d’attendre que l’autorité de protection des données juge également la compatibilité RGPD des projets blockchain sur les dispositions intégrées dans leur conception en fonction d’une analyse de risque objective. Ainsi un projet comportant des données personnelles sensibles donnera lieu à des contraintes d’anonymisation ou pseudonymisation forte, et une architecture différente d’un projet plus classique où la priorité ira à optimiser la performance du système. De même, les projets moins sensibles seront moins impactés par la possibilité du recours au quantum computing permettant de rétablir le lien, dans quelques décennies, avec les identités des utilisateurs. Si les services utilisant les blockchains font preuve de bonne foi pour garantir la robustesse de leur approche, il est probable que les autorités feront preuve quant à elles de pragmatisme.

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